lundi 22 octobre 2007

La nouvelle Jeanne d’Arc

On nous a trop rabattu les oreilles avec cette histoire aujourd’hui pour que je passe à travers de la polémique et que je ne vous touche deux mots sur cette affaire. Pauvre Guy Môquet ! titrait l’excellente émission d’Yves Calvi aujourd’hui. Effectivement.
La lecture de cette lettre est tellement aberrante, que quelques mises au point s’imposent pour comprendre, avant d’en dire n’importe quoi.
Tout d’abord, aujourd’hui, j’ai entendu des gens dire « ça sert à rien, pourquoi aujourd’hui ? » Cette missive ne sert pas à rien. Elle fait parti de nos archives, de notre patrimoine et la date du 22 octobre a été choisie parce que Guy Môquet et ses camarades ont été fusillés précisément le 22 octobre 1941. La date est donc justifiable. Nabot ne l’a pas choisie arbitrairement en jouant aux fléchettes.
Qui était Guy Môquet ensuite ? Ce jeune homme, fusillé à 17 ans et demi était communiste et résistant. Arrêté en octobre 1940, il est choisi parmi des prisonniers communistes pour venger l’assassinat de Karl Hotz, chef des troupes allemandes de la Loire inférieure. Il a été choisi, pour son idéologie (ça évitait de tuer 50 bons Français disait-on à l’époque) mais aussi et surtout parce qu’il était fils de député, que son nom était connu et qu’il était un bon exemple. Il n’est pas mort pour son héroïsme dans la lutte anti-nazi mais simplement parce que son nom se diffuserait plus rapidement et en espérant qu’il ferait passer à d’autres l’envie de se dresser contre les Nazis.
Et aujourd’hui, on nous demande, par circulaire officielle dictée par le président, de lire sa lettre d’adieux à sa famille. Cette lettre n’a rien d’historique à proprement parler. C’est un simple adieu, une correspondance qui entre dans la sphère du privé mais qui est, c’est vrai, un exemple de vie de l’époque. Elle montre l’implication des jeunes dans la Résistance. Il en est un héros, au même titre que Lucie Aubrac et Jean Moulin, qui ont autant que lui la légitimité d’être célébrés aujourd’hui. Peut-être aurait-il d’ailleurs été plus judicieux de mettre en valeur plusieurs résistants plutôt qu’une seule figure, utilisée à outrance par Nabot. Et le jour le plus approprié pour cela aurait été, à mon sens, le 8 mai. Mais ça n’engage que moi. ^^

Nabot, par cette directive, n’a-t-il pas peur d’user cette lettre ? Après tout, on la lui a lue lors de son investiture, son nouvel attaché au ministère des sports a trouvé sain de la faire lire à l’équipe de France de rugby pour les motiver contre l’Argentine, et maintenant il faudrait la lire tous les ans à tous les élèves des lycées de France et de Navarre. Aujourd’hui certains établissements ont même poussé le vice jusqu’à instituer une cérémonie très officielle avec lecture de ce texte, discours de sénateurs et chorale entonnant « Le Chant des Partisans ». Pourquoi pas chanter aussi « Maréchal, nous voilà » tant qu’on y est ! Ce n’est pas ternir l’image de la Résistance, comme j’ai pu l’entendre aujourd’hui mais simplement en faire trop autour de ce texte.

Je parlais dans un post précédent de Jeanne d’Arc, mise en avant comme une figure de la nation, pour inciter les jeunes enfants de 1870 à bouter les Allemands hors de l’Alsace-Moselle. Et bien Guy Môquet est, selon moi, la nouvelle Jeanne d’Arc de Nabot. Il n’a rien à voir avec les valeurs de ce dernier. La pucelle d’Orléans qui voulait sauver la monarchie française n’avait pas non plus grand-chose en commun avec les valeurs de la République. Ils n’ont tous les deux que le mérite d’avoir aimé leur pays, lutté pour lui, avec leurs idéologies propres.
Il y a d’ailleurs, vous l’aurez remarqué, un paradoxe entre cette volonté de la part de Nabot de mettre en avant le passé, un passé proche et assez lointain à la fois, et son affirmation de vouloir faire une rupture « tranquille » dans les habitudes politiques du pays. A l’heure où l’on construit l’Europe, n’est-ce pas remettre un poids de plus sur le dos des Allemands et les reculpabiliser dans leurs erreurs passées que de mettre en avant ce texte ? Je me demande d’ailleurs pourquoi il y a une telle nécessité dans les instructions officielles de valoriser l’histoire positive de la Nation et de stigmatiser les « méchants ».
Je me souviens que c’est pour ça que j’ai voulu devenir professeur. Pour rétablir une vérité que l’on veut cacher par l’ignorance. Mon geste serait petit, certes, mais il serait juste. Bien sûr Louis XIV était un bon roi, mais ses vingt millions de Français ont souffert ; bien sûr Louis XVI n’était pas un grand, mais avait-il à son avènement les moyens de redresser réellement son royaume ? ; effectivement, on ne parle pas de Guerre du Maroc ou de la Tunisie dans la décolonisation, mais ces libérations se sont-elles réellement faites dans le plus grand calme ? ; oui Pétain a choisi le mauvais camps et les mauvais adjoints en 1940, cela fait-il de lui un sous fifre d’Hitler collaborationniste ? Je me souviens avoir fait lire mon commentaire de texte sur la défense de Philippe Pétain lors de son jugement après la guerre à ma grand-mère, toute fière de l’excellente note que j’avais obtenue. Ma grand-mère m’a remis les yeux à l’envers : la majorité des Français n’étaient ni résistants, ni collabo. La majorité des Français subissaient l’Occupation et Pétain n’était pas un sauveur, juste un homme qui avait accepté d’être la tête de l’Etat défait, de mener le peuple, alors que son propre président élu l’abandonnait.

Certains disent que cette lecture a sa légitimité puisqu’elle permet d’aborder la question de la Résistance et des jeunes dans la Seconde Guerre Mondiale en classe. En classe de Chimie ?!?!! Pourquoi vouloir à tout prix mettre en valeur un document historique qui, d’une part est déjà inscrit dans les documents à utiliser par les professeurs d’histoire, et de deux peut être abordée au lycée lors de l’étude de l’évènement. Sortie de son contexte, sans que les élèves n’en connaissent que des bribes, elle n’a aucun sens. Ou plutôt si, dans la formule Nabot, elle passe d’un intérêt historique à un intérêt patriotique, celui de rappeler que c’est lui, Nabot, qui est à l’origine de ce moment de récré pour les ados. Parce que lire un document historique en maths, sans débat ensuite, juste parce que c’est écrit dans la circulaire du ministre, ça n’a aucun intérêt, sinon celui de permettre aux élèves de finir leur nuit ou de réduire le temps de parole du professeur. Notons également que la lettre est remise aux normes naboléoniennes puisque le mot « camarade » à connotation communiste écrit par le jeune homme est remplacé par le mot « compagnons », mot à forte connotation gaulliste. En quoi est-ce intelligent et intéressant de lire un texte modifié ?

Dans l’émission, des petits texto défilent. Beaucoup posent des questions sur l’engagement du corps enseignant envers cette circulaire. Par exemple, j’ai pu lire des choses comme : « Pourquoi les enseignants, payés par l’Etat, se permettent-ils de désobéir ? » Alors ça, c’est le genre de réflexion que je ne supporte pas, de la part de personnes qui oublient un peu vite qu’ils savent aussi dire non, quand une chose ne leur convient pas, même à leur patron. Un professeur dans un reportage, affirmait lire bêtement la lettre, même s’il était prof de physique-chimie et qu’elle était malvenue dans sa matière, parce qu’il appliquait sans réfléchir la circulaire de M. Darcos, sous prétexte qu’elle émane d’un supérieur, tout simplement. Honte à lui ! Honte à tous les professeurs qui ont agit sans se poser la question de la pertinence de cette lecture et de sa portée. Ce n’est pas parce que les professeurs sont réactionnaires envers le Nabot qu’ils refusent de lire cette missive, mais bien parce qu’elle n’apporte rien sortie de son contexte. Ceux qui s’exécutent sans se demander s’ils font quelque chose d’intelligent ou non sont des moutons de Panurge. Et pour répondre à la personne qui a envoyé ce texto stupide, si tous les Français, citoyens pourtant, avaient obéit au chef de l’Etat pendant la guerre de 40, nous parlerions tous allemand ! Ce n’est pas parce qu’on est salarié de l’Education Nationale, que l’on doit se démunir de toute intelligence et répéter bêtement ce qui est dit dans les manuels. Notez que si enseigner se limitait à lire ces manuels officiels et à fermer sa gueule, les enfants pourraient les lire seuls et s’instruire chez eux !
Je pense qu’il y a une nette distinction à faire, comme le disait un des invités de Calvi, entre l’instruction et la commémoration. L’école peut être le lieu de commémoration, là n’est pas la question. On peut lire ce genre de texte pour mettre en valeur telle ou telle partie de notre histoire commune, pour rappeler aux jeunes qu’ils ne faut pas l’oublié et que d’autres avant eux se sont battus pour le monde dans lequel ils vivent (et quand on voit la France actuellement, on se dit qu’ils n’ont peut-être pas été assez nombreux à se battre !) Mais commémorer pour mettre en valeur un texte tronqué, mis en exergue par le président volontairement (que celui qui savait que Guy Môquet était autre chose qu’une station de métro avant avril me jette le premier pot de miel) cela s’appelle de la propagande. Or le professeur, quelle que soit sa matière, a un devoir de non-ingérence de ses opinions politiques au sein de sa classe. La propagande, je crois, n’entre pas dans ses compétences et c’est pourquoi je ne la lirai que dans son contexte le jour ou je me tiendrai devant mes premiers élèves.

4 commentaires:

Une fille qui se prend pour la fée clochette a dit…

Ah c'est pour ça que ce nom me parlait tant! La station de métro! J'ai un peu honte quand même...
Je trouve ton texte tellement complet que je ne vois pas trop quoi commenter, je suis tout à fait d'accord que lire ce texte juste pour le lire n'a strictement aucun intérêt.
Une chose que j'ai aimé, c'est le court-métrage qui a été réalisé autour et qui passe(passait?) sur la 2. Les images marquent l'esprit et complètent bien les textes. De plus, c'est ouvert à tout le monde de regarder ce court-métrage ou de décider de le zapper. Même si c'est dommage de zapper cela, c'est le libre choix de chacun.
Ce qui m'a plus choqué, c'est ce que j'ai entendu vaguement aux infos hier "ça ne va pas du tout que les professeurs décident de ne pas lire le texte, ça veut dire qu'ils peuvent décider de faire le programme qu'ils veulent et de faire l'impasse sur des morceaux d'histoires" alors je trouve ça mais... répugnant! Parce que déjà, c'est généraliser à tort et à travers un fait particulier et ça me.. Et de plus, qui à part les professeurs sont les mieux placés de part leurs experiences, ou celles de leurs collègues de savoir ce qui est le plus adapté à transmettre aux élèves et quand?? Mais non , on laisse des grandes pompes qui n'ont jamais enseignés ou alors qui ne le font plus depuis bien longtemps, s'occuper des programmes.. Résultats : obligation de promouvoir l'hymne national de la France que je ne trouve plus du tout d'actualité et même complètement idiot (quand j'entends les sportifs chanter "qu'un sang impure abreuve vos sillons" ça me répugne limite!); moins de sport pour les élèves, suppression d'une méthode que je trouve bien plus haut que l'ancienne pour apprendre la grammaire, etc etc..
Bref.

3 Petites Notes de Musique... a dit…

oui;, quelle complétude en effet!
moi je retiens surtt que "nabot" (j'adore! je crois que je vais me mettre à l'appeler comme ça, ça sonne tellement bien) enfin toujours est -il que nabot a lancé sa petite bafouille tranquillou aux profs, et que aujourd'hui, il a d'un coup d'un seul eu un agenda surchargé et n'a pu aller déclamer la lettre au lycée carnot!
c'est quand même fou ces concours de circonstance en ce moment.
C'est un peu comme si il avait décidé de divorcer un jour de grève historique!

3 Petites Notes de Musique... a dit…

clo: ce qui m'a choqué moi, c'st une journaliste sur france inter ce midi qui conlcu: "les profs n'aiment aps qu'on leur dise ce qu'ils doivent faire". C'est d'une bêtise.... c'est cliché, c'est sot! ca me met en colère des stupidités pareil!

Une fille qui se prend pour la fée clochette a dit…

je suis bien d'accord avec toi Eve, ca prouve bien que les gens ne savent pas de qui ils parlent.. Ceci dit , les profs anciennes ecoles sont peut etre comme ça mais il faudrait penser à évoluer et à regarder la nouvelle génération qui arrive et qui aimerait rester motivée dans un univers où des parents se demobilisent, où des enfants n'ont plus ni limites ni repères...